Mémoires des Annales de Phénoménologie

L’Association Internationale de Phénoménologie publie une collection d’ouvrages, les “Mémoires des Annales de Phénoménologie”. Cette collection vise à donner une visibilité aux travaux de recherche de l’Association et accueille des essais (en langue française) relevant du champ phénoménologique.

Marc Richir a créé les “Mémoires des Annales de Phénoménologie” en 2002. Depuis 2016, cette collection est dirigée par Alexander Schnell.

Les “Mémoires des Annales de Phénoménologie” sont distribués par la librairie philosophique Vrin.

Volumes parus:
 

Volume I: Marc Richir: L’institution de l’idéalité, 2002, 204p. (20€)

Volume II: Moritz Geiger: Sur la phénoménologie de la jouissance esthétique, 2002, 150p. (18€)

Volume III: Albino Lanciani: Phénoménologie et sciences cognitives, 2003, 130p. (18€)

Volume IV: Antonino Mazzù: L’intériorité phénoménologique. La question du psychologisme transcendantal chez Husserl, 2003, 240p. (22€)

Volume V: Alexander Schnell: La genèse de l’apparaître. Études phénoménologiques sur le statut de l’intentionnalité, 2004, 186p. (20€)

Volume VI : Gian-Carlo Rota: Phénoménologie discrète. Écrits sur les mathématiques, la science et le langage, 2005, 150p. (18€)

Volume VII: Guy van Kerckhoven: L’attachement au réel (W. Dilthey, G. Misch, H. Lipps), 2007 (2020, deuxième édition), 208p. (234p.) (20€)

Volume VIII: Yasuhiko Murakami: Hyperbole. Pour une psychopathologie lévinassienne, 2008, 120p. (18€)

Volume IX: Marc Richir: Sur le sublime et le soi. Variations II, 2011, 148p. (18€)

Volume X: Karel Novotný, Alexander Schnell, László Tengelyi (éd.): La phénoménologie comme philosophie première, 2011, 292p. (20€)

Volume XI: Georgy Chernavin: La phénoménologie en tant que philosophie-en-travail, 2014, 268p. (20€)

Volume XII: István Fazakas: Le clignotement du soi. Genèse et institutions de l’ipséité, 2020, 276p. (25€)

Volume XIII: Grégori Jean: L’humanité à son insu. Phénoménologie, anthropologie, métaphysique, 2020, 306p. (24€)

Volume XIV: Stanislas Jullien: La phénoménologie en suspens. Derrida et la question de l’apparaître, 2020, 345p. (24€)

Volume XV: Sacha Carlson: Genèse et phénoménalisation. La question de la phénoménologie chez le jeune Richir, 2020, 416p. (24€)

Volume XVI: Alexander Schnell: Phénoménalisation et transcendance. La métaphysique phénoménologique de Marc Richir, 2020, 166p. (20€)

Volume XVII: Grégori Jean: Les puissances de l’apparaître. Étude sur M. Henry, R. Barbaras, et la phénoménologie contemporaine, 2021, 132p. (20€)

Volume XVIII: Aurélie Névot: Le corps effacé. Relations, substances et submutances, 2021, 252p. (20€)

Volume XIX: Inga Römer: Temps – éthique – métaphysique. Etudes phénoménologiques et herméneutiques, 2022, 245p. (24 €)

Volume XX: Sacha Carlson: Signes, sons et sens. Essai de poétique phénoménologique, 2022, 288p. (24 €)

Volume XXI: Bruce Bégout: Notre douloureux présent. La phénoménologie face aux temps modernes, 2023, 236p. (25 €)

Volume XXII: Aurélie Névot: Le ressac de l’altérité. Richir et Clastres à l’épreuve de l’ethnologie, 2023, 138p. (20 €)

Volume XXIII: Thomas Sabourin: De l’invisible en art? Pour une phénoménologie de l’art contemporain, 2023, 172p. (24 €)

Volume XXIV: Alejandra Merino Mora: Métamorphoses du transcendantal – de Kant à Deleuze, 2024, 362p. (25 €)

Volume XXV: Pablo Posada Varela: Concrétudes en concrescence. Phénoménologie et réduction méréologique, 2024, 298p. (25 €)

Volume XXVI: Alexander Schnell: Monde et phénoménalisation. La phénoménologie spéculative d’Eugen Fink, 2024, 174p. (20 €)

Présentation des Mémoires

Volume XXIII: Thomas Sabourin: De l’invisible en art? Pour une phénoménologie de l’art contemporain

Plus d’un siècle après le ready-made est-il possible d’établir un critère permettant de discerner, entre toutes les productions qui se réclament de l’art, celles qui peuvent légitimement y prétendre de celles qui ne sont que des produits qui en empruntent les codes formels ? Cette question reconduit fondamentalement au problème de la définition de l’art que cet essai cherche à produire. L’enquête porte ainsi d’abord sur le motif historique de la « dé-définition » de l’art et sur la réponse qui y a été apportée dans les définitions institutionnalistes. L’analyse du contexte philosophique et artistique qui a conduit à produire ces définitions dégage également, à la lumière de leurs déterminations fondamentales, leurs enjeux et leurs effets dans l’histoire récente de l’art et de sa sociologie.

Mais ce versant critique de la recherche appelle une pars construens qui se fonde dans le dépassement d’un abord objectiviste du problème, et positivement, dans une phénoménologie de l’affectivité qui trouve ses fondements dans la pensée de Michel Henry, spécifiquement dans les concepts phénoménologiques d’invisible et d’oubli. C’est sur ce fondement philosophique qu’une définition de l’art est formulée dans le cadre d’une phénoménologie matérielle. Il importe alors de dégager les caractères de l’œuvre d’art que prescrit cette définition, et finalement, de les confronter à leurs implications esthétiques et éthiques dans le monde contemporain.

Volume XXII: Aurélie Névot: Le ressac de l’altérité. Marc Richir et Pierre Clastres à l’épreuve de l’ethnologie

Cet ouvrage engage une discussion entre la phénoménologie et l’anthropologie politiques en partant d’un point de vue résolument ethnologique. Il met plus particulièrement Marc Richir et Pierre Clastres à l’épreuve d’analyses ethnographiques. Dans le premier chapitre, les écrits richiriens sur le politique sont abordés en insistant sur les éléments clef de la théorie clastrienne qui les ont inspirés (dont notamment le concept de « société contre l’État »). Au regard de données provenant de populations tibéto-birmanes du sud-ouest de la Chine, le deuxième chapitre porte sur l’emploi de ce concept par Pierre Clastres, Marc Richir et plus récemment James C. Scott, de même que sur la mise à l’écart de toute « dimension religieuse » pour traiter la question du pouvoir. En revenant à l’analyse richirienne des mythes grecs, il s’agit de saisir, dans le troisième chapitre, les mutations « mytho-logiques » d’un récit fondateur également issu du sud-ouest de la Chine, tout en prêtant attention au symbolique « se faisant ».

Ces trois cheminements qui renvoient respectivement à des questionnements phénoménologiques, ethnologiques et « mythico-mytho-logiques » font apparaître que les concepts issus de la théorie anthropologique doivent être appréhendés comme relevant de propositions réflexives à même d’être déconstruites par l’ethnographie, laquelle révèle par ailleurs des logiques de pensée à prendre en considération par la philosophie dont la conceptualité, notamment à propos du politique, doit être interrogée à nouveaux frais.

Volume XXI: Bruce Bégout: Notre douloureux présent. La phénoménologie face aux temps modernes

Il est commun de reprocher à la phénoménologie son désintérêt pour le monde concret. Elle ne serait qu’une version moderne de la philosophie des essences, se détournant des faits et des choses pour se consacrer exclusivement aux structures a priori de l’expérience, qu’elles soient subjectives ou existentiales. Pourtant, et telle est l’ambition de ce livre que de le démontrer, la phénoménologie a, dès son départ, pris en compte le monde historique et l’a interrogé en profondeur. Loin de rester sourde à ses problèmes, elle les a pris au sérieux et a tenté, par sa méthode, d’y répondre. Aussi les notions de crise, d’époque, de réification, de nihilisme, de sens de l’histoire, sont-elles au cœur de ses réflexions sur le monde contemporain. À côté de la théorie critique et du marxisme, elle a ainsi procédé à un véritable diagnostic époqual et a cherché également, par l’analyse critique, à transformer le monde, à mettre fin à « notre douloureux présent ». Ce sont ces dialogues de la phénoménologie avec l’époque actuelle que ce livre invite à découvrir.

Volume XX: Sacha Carlson: Signes, sons et sens. Essai de poétique phénoménologique

Quelle est la spécificité de la phénoménologie comme méthode lorsqu’elle s’attache à décrire et à analyser cette région spécifique de l’expérience humaine qu’est le langage ? Autrement dit, dans quelle mesure le langage peut-il être abordé par le phénoménologue comme un continent parmi d’autres du vivre humain ? Ne faut-il pas supposer que le langage pénètre tous les registres de l’expérience ? L’expérience sensible n’est-elle pas elle-même aimantée par l’expérience de la parole ?

Telles sont les questions qui animent le présent ouvrage, qui prend comme fil conducteur l’analyse du langage proposée par Marc Richir. Ce livre offre d’abord une clarification de la phénoménologie richirienne du langage, en la confrontant avec d’autres approches, notamment celles de Husserl, Heidegger, Derrida, Ricœur, Maldiney et Garelli. Les distinctions établies par Richir entre la langue (comme institution symbolique du langage), le langage comme phénomène, et les phénomènes de monde hors langage structurent cet essai. Ces distinctions sont éprouvées selon plusieurs perspectives, à partir des questions qu’elles suscitent : le langage dit-il autre chose que lui-même ? Comment le langage s’articule-t-il à la langue ? Y a-t-il du langage sans langue ? Le hors langage peut-il être abordé depuis le langage ? Ces interrogations conduisent également à reprendre autrement les problèmes de la temporalité, de l’imagination, du sublime et de l’affectivité. Par ailleurs, ces distinctions architectoniques établies par Richir sont approfondies à partir d’analyses plus concrètes, qui cherchent à clarifier le statut des « signes » et du sens dans certaines situations remarquables. La question d’un hypothétique langage animal, les ébauches de langage chez le nourrisson, le rôle de la technique et du langage dans l’hominisation, la temporalité spécifique de la parole opérante (Merleau-Ponty) sont autant d’occasions d’affiner ces axes méthodologiques.

La présente recherche débouche alors sur l’analyse de deux exercices singuliers du langage, dont l’énigme anime l’ensemble du livre : celui de la parole poétique et celui du logos propre à la phénoménologie. La « poétique » phénoménologique proposée dans les deux derniers chapitres offre ainsi une analyse des « voix » propres au poète et au phénoménologue.

Volume XIX: Inga Römer: Temps – éthique – métaphysique

Le temps, l’éthique, la métaphysique sont les trois thèmes qui guident les quatorze études réunies dans cet ouvrage. L’autrice met au jour un certain lien entre ces trois approches : les limites de la pensée du temps ouvrent vers des problèmes éthiques, le sens de l’éthique conduit à des questionnements soulevés par la métaphysique.

Ces études suivent la méthode phénoménologique en tant qu’elle implique un tournant herméneutico-critique : si la visée de la « chose même » ne veut pas rester naïve et enfermée dans un cadre de pensée relevant des préjugés de notre époque, elle doit confronter l’expérience actuelle à des figures de pensée qui nous ont été transmises par la tradition. La philosophie critique de Kant est la figure de pensée centrale de l’ouvrage, à même de mettre à l’épreuve et d’approfondir l’analyse phénoménologique. L’autrice introduit l’idée d’une philosophie pratique aux limites de la philosophie théorique, qui est ancrée dans une pensée originale du temps, ainsi qu’une acception originale de la métaphysique qui s’appuie sur la philosophie pratique. Autant de figures de pensées héritées de la philosophie kantienne à repenser au sein du mouvement de la phénoménologie, notamment chez Husserl, le premier Heidegger, Ricœur, Levinas et Derrida.

La première partie interroge la réception de la pensée kantienne dans l’œuvre de Ricœur. Elle aborde notamment le caractère aporétique du temps ainsi que le problème de la relation entre phénomène et langage. La deuxième partie met au jour la réception lévinassienne de Kant et ses implications pour une éthique phénoménologique ainsi que pour les notions de la raison, de la liberté, de la signification et de l’espace. La troisième partie aborde de front des questionnements phénoménologiques et herméneutiques relatifs au problème de la métaphysique, à travers le prisme des interprétations heideggériennes de Kant et de Leibniz, du défi du réalisme dans la philosophie contemporaine et de la possibilité même d’une métaphysique phénoménologique. L’ouvrage s’achève avec une réflexion sur la question de l’altérité et de la réalité chez Proust.

Volume XVIII: Aurélie Névot: Le corps effacé. Relations, substances et submutances

Cet ouvrage livre la première tentative de confronter l’anthropologie contemporaine, sous le signe d’un « tournant ontologique », et la phénoménologie. Pour ce faire, il place au centre d’une clarification nécessaire de l’anthropologie avec elle-même un couple conceptuel se substituant à celui de « nature et culture » qui avait largement dominé ses propres débats durant ces dernières décennies. Ce nouveau couple conceptuel, amorçant un véritable changement de paradigme en anthropologie, est celui de « substance et relation ».

Dans l’Auseinandersetzung entre les « nouveaux réalismes » et la phénoménologie, le « corrélationisme » ne cesse d’être au cœur du débat ; à sa manière, le statut du relationnisme se doit également d’être interrogé en anthropologie. S’étant constitué à la fois contre le substantialisme et mettant en jeu la « substance » dans un autre sens – lié au corps –, le relationnisme en anthropologie n’est pas tombé en désuétude ; à condition, toutefois, et telle est l’une des thèses centrales de cet essai, de faire apparaître les modalités de « substances corporelles » se mouvant dans les interstices de et sous la relation. D’où la nécessité de donner toute la place à la « submutance ».

Si la phénoménologie et la pensée asiatique (notamment celle du Japon et de la Chine) se sont rencontrées assez tôt et continuent de se croiser, le débat anthropologique contemporain est focalisé en premier lieu sur le monde amérindien. Or, c’est en Asie, et en particulier en Chine, que la submutance a vu le jour. S’impose alors à la fois une remise en question des présupposés relationnistes en vigueur aujourd’hui (notamment chez Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro) et une analyse critique de la manière dont l’anthropologie de la Chine (à travers sa figure emblématique Wang Mingming) cherche à trouver sa place dans ce débat, en se rattachant au relationnisme encore d’une autre façon. Il apparaît ainsi que l’une des lignes de force de la rencontre entre l’anthropologie et la phénoménologie est la notion du corps qu’il s’agit ici de soustraire à l’effacement qu’il a subi dans le structuralisme et chez ses adeptes contemporains.

“Ce livre est le premier, à ma connaissance, à proposer un bilan aussi
informé et aussi personnel à la fois de ce qu’on a appelé le tournant
ontologique en anthropologie. Beaucoup de gens ont critiqué les travaux de
Descola et Viveiros de Castro, mais je trouve que la plupart le font de manière
soit superficielle, soit mal informée, soit carrément malhonnête. Aurélie
Névot, elle, le fait avec une justesse et une justice rares et admirables. Elle
le fait à partir de son terrain à elle, qui est la Chine, et plus précisément
certaines pratiques chamaniques chinoises, liées à l’écriture, pratiques qui
permettent de faire valoir une ontologie qui échappe à la dichotomie
philosophique traditionnelle de la substance et de la relation, mettant en
avant la notion de submutance, à savoir de principes qui comme le feu, le
métal, l’eau existent uniquement par et dans leurs transformations (ils sont
principes de mutation des choses et non de conservation de leurs identités –
submutances, donc, et non substances).

En plus, elle le fait sur le fond d’une redéfinition extrêmement précise et
stimulante du terrain sur lequel philosophie et anthropologie peuvent se
rencontrer aujourd’hui, et avec une connaissance impressionnante de la
tradition philosophique et, plus particulièrement, de l’apport de la phénoménologie.

On apprend aussi beaucoup de choses sur l’anthropologie impérialiste
chinoise contemporaine, et c’est important : car on ne peut plus se contenter
aujourd’hui d’une simple opposition entre impérialisme occidental et
résistances minoritaires. Cette définition-là de la critique n’est plus
suffisante. Il faut aussi décoloniser la critique, et décoloniser la critique,
c’est comprendre qu’il n’y a pas Nous et les Autres. Aujourd’hui, « l’Occident »
n’est plus le seul à tenter de reconfigurer le monde dans une grille impériale.
Il y a plusieurs figures du majoritaire. […] Y compris d’un point de vue
intellectuel, la Chine contemporaine a construit un discours extrêmement
puissant concernant son « altérité » supposée capable de provincialiser
l’Occident au service du monde entier. Il est d’autant plus intéressant de
découvrir les authentiques ressources d’altérité que recèle le continent
chinois et de comprendre comment elles résistent aussi bien à la tradition
intellectuelle de nos disciplines qu’au neoconfucianisme militant promu
aujourd’hui en Chine” (Patrice Maniglier)

 

Volume XVII: Grégori Jean: Les puissances de l’apparaître. Étude sur M. Henry, R. Barbaras, et la phénoménologie contemporaine

Cet ouvrage se présente d’abord comme une petite étude historique destinée à éprouver une hypothèse précise : dans la séquence qui relie l’œuvre de Michel Henry à celle, toujours en devenir, de Renaud Barbaras, se jouerait beaucoup moins l’introduction du concept de « vie » en phénoménologie qu’une interrogation commune sur ce qu’« apparaître » veut dire — et ceci sur le fondement d’un diagnostic commun. Dans l’ensemble de la tradition phénoménologique en effet, et en raison d’une fidélité résiduelle à Kant et aux dogmes qu’il avait cru pouvoir fixer à toute philosophie transcendantale, l’apparaître n’aurait jamais été appréhendé qu’au prisme de son impuissance constitutive, comme ce qui dès lors n’assure le dévoilement des étants que pour autant qu’il ne les fait pas être. En admettant qu’une telle impuissance n’appartienne pourtant pas à l’essence de toute phénoménalité, en admettant par conséquent qu’un avenir possible de la phénoménologie réside dans sa capacité à renverser les dogmes kantiens pour se saisir d’une certaine puissance de l’apparaître, le problème qui se pose est double :

1/ D’une part, quel est le sens de la grande alternative à laquelle un tel renversement finit ici par aboutir — la puissance d’une vie arrachée au monde et capable d’engendrer son propre agir d’un côté, la surpuissance ontogénétique d’un monde dès lors assimilée à une Physis de l’autre ?

2/ D’autre part — et à supposer que nous parvenions, comme nous y invite l’évolution récente de la pensée barbarassienne, à nous arracher définitivement au kantisme pour nous saisir correctement du sens et des enjeux de cette greffe ontogénétique de l’apparaître —, dans quelle mesure ne nous faudrait-il pas reconduire une telle alternative à l’unité d’un dévoilement et d’un engendrement qui, dès lors, nous permettrait de nous saisir de la phénoménologie comme d’un « monisme » indissociablement phénoménologique et ontologique ?

C’est parce qu’il affronte de telles questions que cet ouvrage n’est peut-être pas seulement une contribution à l’histoire de la phénoménologie — mais aussi une réflexion quant aux nouvelles voies philosophiques qui s’ouvrent à elle.

Volume XVI: Alexander Schnell: Phénoménalisation et transcendance. La métaphysique phénoménologique de Marc Richir

Si la phénoménologie ne s’est jamais détournée des questions métaphysiques, force est de constater que, depuis plusieurs années, une attention nouvelle leur est prêtée. Le présent ouvrage expose les principaux apports de Marc Richir à une « métaphysique phénoménologique ».

L’œuvre de Richir s’étend sur près d’un demi-siècle. Des découvertes récentes aux Archives Marc Richir à Wuppertal font apparaître que, très jeune, Richir a déjà posé les jalons d’une réflexion qu’il allait poursuivre jusque dans ses dernières publications. Cet ouvrage présente quelques éléments de ces premières élaborations. Toutes les phases essentielles de son œuvre sont ensuite prises en considérations – y compris son dernier livre (Propositions buissonnières), publié un an après sa mort. Il s’agit à la fois de dresser un panorama d’ensemble de la phénoménologie richirienne et d’introduire certains de ses concepts fondamentaux (comme la « phénoménalisation », le « clignotement », le « schématisme », l’« infini phénoménologique », le « ’moment’ du sublime », la « transcendance », l’« écart différentiel », la « vibration instantanée », etc.).

Cet essai s’adresse à tout lecteur intéressé par les recherches phénoménologiques contemporaines, en général, et par les recherches richiriennes, en particulier.

Volume XV: Sacha Carlson: Genèse et phénoménalisation. La question de la phénoménologie chez le jeune Richir

Si Marc Richir est l’un des représentants les plus importants de la troisième génération de phénoménologues, son œuvre, immense, n’en reste pas moins insaisissable et déroutante. Le présent ouvrage propose de mettre en lumière la spécificité du projet philosophique qui l’anime. La lecture proposée s’appuie sur les textes du jeune Richir depuis ses premières publications jusqu’aux deux tomes des Recherches phénoménologiques (1981-83) et montre que ce qui s’y joue continue de structurer l’ensemble de l’œuvre ultérieure. L’examen de l’ensemble des textes publiés à cette époque ainsi que de nombreux inédits récemment découverts aux Archives Marc Richir à Wuppertal permet non seulement de situer le sens précis des différents concepts techniques utilisés par Richir (« phénoménalisation », « double mouvement », « phénoménologie transcendantale », « schématisme phénoménologique », « phénomène comme rien que phénomène », « institution », « pure apparence », « sublime », « double transcendance », etc.) mais aussi de clarifier sa méthodologie propre.

Cet ouvrage constitue une entrée privilégiée dans l’œuvre de Richir : il dégage la spécificité de sa phénoménologie, notamment par rapport à l’œuvre de Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty et Derrida ; il s’attache aussi à clarifier de nombreux textes stratégiques de Richir parmi les plus ardus. De nombreuses sources méconnues de sa pensée sont également systématiquement étudiées, parmi lesquelles la pensée de Fichte et de Nietzsche.

Volume XIV: Stanislas Jullien: La phénoménologie en suspens. Derrida et la question de l’apparaître

Dans l’un de ses derniers entretiens, Derrida a pu dire, avec une certaine ironie toute socratique mais non sans inquiétude, que l’on n’avait peut-être pas commencé à le lire. Cet ouvrage fait l’hypothèse que cet avertissement se cristalliserait là où pour Derrida tout a commencé – à savoir là où ce qui s’est nommé « déconstruction » s’est révélé dès le plus tôt comme un geste de suspension (épokhè) de la phénoménologie. Éviter le malentendu à l’endroit de ce geste consisterait à cesser définitivement de lire en lui l’opération d’une dilapidation de la phénoménologie et de dénier ainsi l’à-venir que la déconstruction, dès son coup d’envoi, lui aura promis. Ménager un accès à cette promesse exige l’endurance d’une lecture géographique de Derrida qui explicite sur son territoire textuel la constellation conceptuelle (trace, différance, supplément, archi-écriture, itération, survivance, etc.) qui permet de cartographier les coordonnées du site immémorial dans lequel l’épokhè déconstructrice de la phénoménologie puise ses ressources initiales. Outre l’éclaircissement du dialogue historial que Derrida entretient avec la tradition phénoménologique (Husserl, Heidegger, Levinas), cette cartographie met en lumière une pensée inouïe de l’apparaître qui, répondant de la créativité originaire de la finitude rendant possible la construction et la transmission des phénomènes, « sauve » la phénoménologie en neutralisant en elle les clivages (entre la finitude et l’infini, l’idéalisme et le matérialisme, le corrélationnisme et le réalisme, la genèse et la technologie, le transcendantalisme et l’événementialité) qui la retiendraient encore dans la clôture de la métaphysique. À travers ce geste salvateur de suspension, c’est donc aussi l’actualité philosophique de la déconstruction qui est en jeu, si celle-ci se mesure à l’exigence impérative de confronter la phénoménologie aussi bien à la pensée de son époque qu’à la question de l’époqualité en général.

“Stanislas Jullien est sans conteste le meilleur et après tout peut-être aujourd’hui le seul interprète de Derrida car il le retranscrit dans ses langues natales pour retranscrire celles-ci en une autre lange inouïe. Cette langue deviendra indissociable de celle de Derrida” (Jean-Luc Nancy)

Volume XIII: Grégori Jean: L’humanité à son insu. Phénoménologie, anthropologie, métaphysique

Ce livre se propose de croiser différents thèmes propres à l’air du temps philosophique : un engouement pour le problème du « réalisme », une redistribution des cartes censées circonscrire le champ de ce qui est « humain » et de ce qui ne l’est pas, une certaine interrogation inquiète sur le sens de la « métaphysique », une angoisse enfin, que nous n’avons pas fini d’éprouver, devant un monde qui s’effondre et qui se révèlera bientôt inhabitable. Mais il n’entend le faire qu’en les examinant à la lumière de la reconfiguration radicale du problème anthropologique qu’avait opérée la philosophie moderne dans sa rupture avec l’ontologie antique et médiévale — et de la tension qui s’en avère constitutive. Si l’homme n’y est en effet plus conçu comme un étant doté de telle ou telle constitution naturelle mais, ultimement, comme un certain type de rapport à l’étant comme tel ou comme un mode de phénoménalisation du « réel », il n’en demeure pas moins impossible, dès lors que cet ordre du phénomène se trouve ainsi arraché à l’ordre de la nature pour devenir le lieu de sa manifestation, d’y déceler le moindre coefficient anthropologique intrinsèque sans le réinscrire dans une nature à laquelle le retour au phénomène avait justement pour fonction de nous ménager un accès « non naturel ». Ces nouvelles coordonnées de la « question de l’homme » permettent alors de formuler une double hypothèse. D’une part, ce que nous avons pris l’habitude de nommer, avec et après Kant, « subjectivité transcendantale », pourrait n’avoir d’abord qu’une signification négative : serait transcendantale toute subjectivité qui, ne pouvant plus emprunter à sa connaissance extrinsèque du réel le savoir de son inscription ontique dans l’étant homme, et ne trouvant par ailleurs dans l’immanence de ses propres vécus aucun critère intrinsèque lui permettant de s’en assurer, ne saurait se désigner comme une subjectivité humaine et appréhender le réel comme un « réel-pour-l’homme » qu’en succombant à ce que nous identifierons ici comme un « paralogisme anthropologique ». Mais d’autre part, toute la difficulté serait alors de ne pas céder « dogmatiquement » à un second paralogisme qui n’est jamais que l’envers du premier, et qui conduirait la philosophie à convertir cette signification négative — la subjectivité ne se vit jamais comme « humaine » et ne vit dès lors jamais le réel comme « humanisé » — en une signification positive, et ainsi à soutenir que nous ne nous rapportons aux « choses mêmes » qu’à la condition proprement « métaphysique » que nous nous vivions comme, et finalement que nous soyons autre chose que des hommes.

Que la phénoménologie, dans sa manière d’hériter de la position moderne de la question de l’homme, ait elle-même échoué à se tenir à égale distance de ces deux paralogismes, et qu’elle n’ait ainsi pu appréhender l’unité du phénoménologique, de l’anthropologique, et du métaphysique qu’en tombant dans une série de contradictions qui marquent peut-être autant d’étapes de son histoire, n’empêche qu’elle affrontait un problème bien posé — un problème plus que jamais au cœur de notre actualité philosophique et que le présent ouvrage se propose de résoudre : comment comprendre « la place de l’homme », non plus dans la nature, mais dans l’apparaître lui-même ?

Lauréat en 2021 du Prix annuel du meilleur livre de “Symposium” décerné par la Société Canadienne de Philosophie Continentale (SCPC).

Volume XII: István Fazakas: Le clignotement du soi. Genèse et institutions de l’ipséité

La phénoménologie husserlienne n’a cessé de s’approfondir pendant son élaboration, et ce mouvement aura conduit non pas à des réponses, mais à la découverte de nouveaux horizons dont nous restons aujourd’hui les héritiers. La mise au jour de la nécessité d’une phénoménologie génétique, la prise en compte des problèmes limites de la phénoménologie ou encore les analyses relatives à la phantasía dont nous commençons peut-être seulement à mesurer la portée sont autant des champs de recherche que le père fondateur de la phénoménologie nous a légués. Ce livre a été conçu au croisement de ces champs où le « principe de tous les principes » husserlien plutôt que de servir comme unique point d’orientation, se découvre comme une étoile clignotante dans des constellations librement tracées, sans places privilégiées. Comment s’orienter dans ce champ de clignotements ? Nous avons pris ici comme fil conducteur la question de l’ipséité, de sa genèse et de ses institutions, en nous basant sur les avancées récentes de la phénoménologie nova methodo proposées par Marc Richir, que nous lisons en dialogue avec d’autres penseurs des traditions phénoménologique et psychanalytique. C’est que, d’une part, si la phénoménologie reste, malgré différentes tentatives de radicalisation, une recherche sur et de la phénoménalisation, celle-ci ne peut être pensée sans une dimension d’ipséité, aussi anonyme et inchoative soit-elle. D’autre part, cette ipséité ne se confond pas avec un sujet institué dans et par son auto-positionnalité, ses histoires et son imaginaire. Nous proposons ici une analyse du mouvement qui conduit de l’éveil du soi phénoménologique archaïque à ses institutions.

Volume XI: Georgy Chernavin: La phénoménologie en tant que philosophie-en-travail

Cet ouvrage vise à déterminer la manière de travailler qui est propre à la philosophie phénoménologique et à la montrer à l’œuvre. Il s’agit pour cela de définir le changement phénoménologique d’attitude comme « dé-limitation » de la vie de la conscience et la méthode phénoménologique comme « enrichissement mobile de sens », pour apercevoir que la dé-limitation, à travers l’enrichissement de sens, conduit à l’institution d’un nouveau mode de recherche. Mais de quelles limitations le changement d’attitude libère-t-il ? Qu’apporte l’enrichissement de sens qui soit proprement nouveau ? Dans quelle mesure cette « nouveauté » serait-elle instituée dans le cadre de la phénoménologie ?

Pour l’attitude naturelle de la conscience, ladite « thèse générale» est constitutive. Elle affirme que « le monde est toujours là en tant que réalité effective » – et fixe par cela la réalité effective comme ce qui va de soi, solidifiant le monde dans une prédonation qui va sans dire. Pour l’attitude phénoménologique en revanche, c’est la méthode de la dé-limitation et de l’enrichissement de sens qui est constitutive. L’épochè phénoménologique laisse l’apparition flotter entre l’être dans la réalité effective et le non-être. La réduction phénoménologique reconduit les sédimentations solidifiées de sens depuis leur prédonation aperceptive à leur origine constitutive.

Surtout, les méthodes de la mise-en-flottement et de la reconduction à l’origine ne sont pas prédéterminées par avance ou prédonnées, et peuvent ainsi toujours être développées ou radicalisées. La philosophie phénoménologique qui, par ce geste, vient à l’institution, ne possède par conséquent aucune architectonique stable ou prescrite par avance : son organisation des problèmes est, de façon essentielle, flexible. Elle a la forme d’un projet ouvert de la recherche qui n’est pas déterminé par des postulats et des conceptions, mais par sa manière de travailler. C’est ce projet ouvert de recherche avec l’architectonique flexible qui le caractérise qu’on appelle ici « philosophie-en-travail ».

Volume X: Karel Novotný, Alexander Schnell, László Tengelyi (éd.): La phénoménologie comme philosophie première

Cet ouvrage se propose de mesurer les possibilités d’une refonte de la philosophie première en phénoménologie. D’une manière générale, une telle investigation se voit contrainte à reconsidérer et à reformuler le concept du phénomène, tout en posant en même temps à la philosophie première des questions inédites. Ce questionnement porte tout d’abord sur la structure catégoriale de la réalité ; la phénoménologie se demande dans quelle mesure la réduction phénoménologique de l’étant au phénomène modifie la caractérisation traditionnelle de cette structure. Une deuxième interrogation renvoie au sujet, c’est-à-dire au moi ou plutôt au soi ; la phénoménologie se pose la question de savoir comment le soi peut être décrit en son rapport avec le phénomène. La troisième question se réfère à ce que Heidegger nomme le sens de l’être ; la phénoménologie s’interroge sur une définition possible de ce sens à partir des traits fondamentaux du phénomène. La « phénoménologie comme philosophie première » aborde ces trois questions en leurs rapports mutuels.

Les contributions ici réunies essaient de comparer la philosophie première en sa forme traditionnelle avec sa reprise phénoménologique et d’étudier le rôle de la philosophie première au sein de l’histoire de la phénoménologie (M. Maesschalck, J.-F. Lavigne, Y. Mayzaud, S. Micali, N. Monseu, J. Pechar). Par ailleurs, elles proposent différents projets de refonte de la philosophie première en phénoménologie (B. Waldenfels, M. Richir, R. Kühn, L. Tengelyi, A. Schnell, P. Kerszberg). Enfin, elles explorent les possibilités d’une philosophie première dans la phénoménologie contemporaine (D. Franck, K. Novotný, I. Röhmer, É. Escoubas, M. Staudigl, I. Copoeru). En abordant tous ces aspects, cet ouvrage livre un aperçu riche et diversifié sur les recherches phénoménologiques actuelles en Europe.

Volume IX: Marc Richir: Sur le sublime et le soi. Variations II

Les études ici rassemblées constituent, comme le titre qui leur est donné l’indique, la suite des Variations sur le sublime et le soi, parues aux éditions Jérôme Millon en 2010. Elles impliquent donc tout ce qu’implique une suite: reprendre des fils qui paraissaient encore trop flottants. Ces Variations II sont donc, au moins provisoirement, la fin d’un cycle commencé avec les deux volumes des Fragments parus chez le même éditeur.

On y retrouvera donc toute la difficulté qu’il y a dans la recherche de ce qui, en termes platoniciens (Timée, 27 d – 28 a), n’est jamais mais devient toujours, donc dans le dégagement d’un vraisemblable (eikos) mis en jeu dans l’infigurable qui cependant paraît, et ce, pris en un devenir sans archè ni telos, qui peut à tout “moment” avorter ou bifurquer. Passer le cap de ce qui relève plus ou moins de l’intentionnalité, le champ phénoménologique s’offre avec une complexité océanique (mouvante) mais non chaotique à la navigation du philosophe. La limite y est toujours instable, et même de plus en plus à mesure qu’on s’éloigne dans la haute mer, entre ce qui a quelque concrétude phénoménologique et ce qui, par défaut de contact avec celle-ci, en prend la place en tant que fictif répondant à notre irrésistible désir de figuration et de fixation – l’architectonique est l’intrument qui demeure pour cette étrange navigation.

Il n’en faut pas moins, sans doute, que cette sorte d’hybris, pour ouvrir à la philosophie une toute nouvelle carrière.

Volume VIII: Yasuhiko Murakami: Hyperbole. Pour une psychopathologie lévinassienne

Dans Lévinas phénoménologue (J. Millon, 2002), l’auteur a tenté de dégager la structure de la subjectivité transcendantale qui implique la possibilité de sa propre destruction dans son cœur même. Hyperbole. Pour une Psychopathologie lévinassienne s’efforce de préciser en quoi la destruction de la subjectivité – à savoir la possibilité de la maladie mentale, du désordre du développement et du traumatisme – peut s’inscrire sous l’horizon de la phénoménologie dès lors que la destruction possible du rapport inter-humain peut s’inscrire dans la structure même de la subjectivité. L’affection relevant de cette possibilité constitue comme un noyau de l’« éthique » lévinasienne ch. 4). Contre cette possibilité, il faut assurer la possibilité de rétablir ce qui est détruit et c’est ce que Lévinas appelle le « sens » (ch. 5.) Notre vie quotidienne implique toujours à son horizon ces deux pôles extrêmes d’« attraction ». L’« hyperbole » est le nom de cet horizon de la méthode pour y accéder.

C’est la notion de « demeure » dans Totalité et infini qui constitue la face positive de cette subjectivité vulnérable. La demeure se trouve au point de jonction de la sensibilité, de l’action et du rapport à autrui (ch. 2). Sans elle, il est impossible d’assurer le sens contre le non sens. En outre, la théorie de l’il y a qui s’oppose architectoniquement à la demeure peut se lire comme prémisse d’une théorie du symptôme, comme amorce d’une phénoménologie du non-sens (ch. 3). Par suite, pour refonder une autre psychopathologie phénoménologique, il faut y resituer la théorie lévinasienne de l’altérité. Ce travail de refondation passe par la redéfinition de l’ensemble articulé des structures découvertes par Lévinas comme « affection d’appel » qui se distingue aussi bien de l’empathie husserlienne que de l’inter-corporéité du  type merleau-pontien (ch. 1). Le projet d’une psychopathologie phénoménologie ainsi réorienté permet à l’auteur d’entamer une analyse détaillée de l’autisme (ch. 1) et du traumatisme psychique (ch. 6).

Volume VII: Guy van Kerckhoven: L’attachement au réel (W. Dilthey, G. Misch, H. Lipps)

Bien loin de se réduire à quelque chose d’intellectuel, notre rapport au monde, qui est essentiellement vécu, jaillit d’un engagement préalable de notre être. Cet engagement est réel et concret : notre être est par là originairement, en soi, répondant du monde et de soi, et toute remise en cause de la phénoménologie comme d’une pure et simple « théorie » se trouve de la sorte invalidée par le fait que, dans son « esprit », la phénoménologie n’est en aucun cas une philosophie qui prendrait le monde « en survol ».

Certes, cela implique une compréhension de la phénoménologie qui outrepasse les conventions scolaires, comme en témoigne déjà l’accueil que W. Dilthey, en son temps, a réservé à Husserl. Pour lui, la phénoménologie husserlienne relevait enfin le défi, déjà lancé par sa « inhaltliche Psychologie », de décrire sans réserve le contenu plein et entier de nos vécus, en lequel se tisse le lien de vie qui donne au monde sa facture et qui est à chaque être sa « grâce ». Dans la même ligne, et poussés par le même élan vers l’originaire, G. Misch et H. Lipps ont – au sein du « cercle de Göttingen » – exploré ce que l’on pourrait nommer ce nouveau et vaste « champ de résonance » de la phénoménologie.

C’est à la rencontre de ce champ que vont les articles réunis dans le présent ouvrage. L’accent y étant mis sur le rapport concret et toujours multiplement en cours d’élaboration de l’homme au monde, on y cherchera en vain l’aiguillon de quelque ontologie – fût-elle fondamentale. Multiplement et dynamiquement articulé dans ses profondeurs, le vécu, l’Erlebnis s’oppose à toute fixation stable et définitive, qu’elle soit de l’être ou d’essences. C’est notre vie même comme rapport en mouvement qu’il s’agit de ressaisir.

Volume VI : Gian-Carlo Rota: Phénoménologie discrète. Écrits sur les mathématiques, la science et le langage

“Phénoménologie discrète” : ce titre insolite traduit l’esprit dans lequel le mathématicien Gian-Carlo Rota (1932-1999), l’un des créateurs de l’algèbre combinatoire contemporaine, a abordé non seulement la mathématique et la phénoménologie, mais aussi plus fondamentalement, le monde : au fond se trouvent le multiple et le discontinu – le discret –, et les éléments logiques de la langue sont trop pauvres et trop grossiers pour en traiter.

Fils d’une famille d’intellectuels italiens émigrée en Amérique latine, professeur de mathématique et de philosophie au M.I.T., Rota a témoigné d’une énergie et d’un courage intellectuels peu communs, alimentés par une haute culture. Dans le milieu anglo-saxon dominé par les diverses formes contemporaines du réductionnisme néo-positiviste, il réussit à faire passer un souffle d’air frais dont nous-mêmes, “continentaux”, avons aujourd’hui besoin, engourdis progressivement que nous sommes par un lourd sommeil dogmatique qui nous fait nous en remettre à “la science” pour toute question de vérité.

Que nous ne sachions pas très bien ce qu’est la science, c’est ce que nous montre la reprise, par Rota, de la phénoménologie et du concept husserlien de Fundierung. Que, de là, nous tombions dans l’illusion que la logique est la vérité, c’est ce que démontre le démontage systématique, par cet éminent mathématicien, des présupposés massifs de la “philosophie analytique”. Que, finalement, la phénoménologie soit à reprendre en assumant fermement mais librement notre héritage philosophique, c’est ce que montre à chaque page le recueil des essais ici rassemblés.

Volume V: Alexander Schnell: La genèse de l’apparaître. Études phénoménologiques sur le statut de l’intentionnalité

Qu’est-ce que le « phénomène » ? Qu’est-ce que l’« intentionnalité » ? S’il s’agit là sans aucun doute de notions essentielles de la phénoménologie husserlienne, il importe de clarifier leur nature et leur statut, conditions nécessaires à la compréhension de ce qui caractérise en propre la méthode phénoménologique. Le retour réflexif requis à ce dessein n’a que rarement été accompli par les commentateurs de Husserl. Le présent ouvrage se propose de contribuer à combler cette lacune, une tâche qui nous est aujourd’hui facilitée grâce à la publication, dans les Husserliana, de nombreux textes demeurés longtemps inédits et dont l’exploration attentive permet de jeter une lumière décisive sur certains « concepts opératoires » de la phénoménologie husserlienne.

Partant d’une clarification de la notion de « phénomène », l’auteur traite des composantes de la structure intentionnelle et des problèmes méthodologiques qu’ils mettent en jeu et ce, en confrontant ses analyses à celles d’auteurs qui ont ouvert et entretenu le débat critique avec Husserl (Fink, Heidegger, M. Henry, Deleuze, etc.). S’élaborent ainsi les jalons conduisant à la « phénoménologie génétique » à travers l’analyse précise de certains de ses termes clé (construction, noyau, pré-immanence, genèse de la facticité, etc.). Cette démarche permet à la fois d’éclaircir le propos de Husserl et de le préserver d’un certain nombre de malentendus qui ont nui à sa juste évaluation.

Sur un deuxième niveau de l’analyse, qui prolonge ces considérations méthodologiques, sont examinées ensuite plusieurs tentatives d’une « réinterprétation » de l’intentionnalité husserlienne – ce qui donne lieu à l’élaboration d’une phénoménologie du temps et du langage. C’est l’occasion de présenter des projets phénoménologiques soit « tombés dans l’oubli », soit plus contemporains : ceux de G. Misch, de J.-T. Desanti et de M. Richir. À travers ce cheminement, il s’agit de mettre à l’épreuve la question du statut ontologique du phénomène – question qui permet de mettre en évidence la profonde originalité de la contribution de Husserl à la philosophie du XXème siècle.

Volume IV: Antonino Mazzù: L’intériorité phénoménologique. La question du psychologisme transcendantal chez Husserl

La pensée contemporaine n’en a pas fini de mesurer l’ampleur de la seconde “révolution copernicienne” qu’aient connu les temps modernes, celle opérée, après Kant mais d’une tout autre manière, par Husserl au XXe siècle. Révolution ou renversement qui, pour la première fois, décentre l’être au profit du phénomène, “avant” toute position métaphysique, que ce soit celle de Dieu, du monde, du sujet ou de la substance, autant d’”en soi” que la tradition métaphysique s’était en général donnés pour points de départ de ses recherches mais dont l’épochè, dans son acception transcendantale, suspend l’évidence.

Pour sonder le renversement produit, il s’agit d’abord de comprendre que le phénomène de la phénoménologie transcendantale se libère de sa dépendance traditionnelle à l’être – des Grecs à Brentano – comme manifestation à l’esprit de ce qui, en soi, précèderait la conscience. Il faut ensuite saisir que le domaine qu’explore cette discipline, en tant que discipline transcendantale, est celui d’une “irréalité”, la subjectivité transcendantale, un champ avec sa consistance propre en lequel se reprennent en phénomènes aussi bien les objectivations formelles que matérielles (la nature, l’homme et ses productions, Dieu lui-même, etc.) comme corrélats transcendantaux de visées intentionnelles, dans une “intériorité” qui n’a plus rien d’un espace à l’intérieur du monde mais qui, au contraire, désigne l’ouverture par le sens de l’expérience à ses horizons. Il faut enfin aller jusqu’à comprendre que la mise en place husserlienne de l’interrogation philosophique oppose une fin de non-recevoir résolue au schéma de dénivellement entre le fini (l’humain) et l’infini en acte (le divin) si caractéristique de l’histoire de la métaphysique.

La présente étude met en relief ces acquis majeurs de la pensée husserlienne en prenant pour angle d’attaque la question insistante et difficile de l’apparentement, et cependant de l’irréductible différence, entre phénoménologie transcendantale et psychologie. Elle prend de front le problème qui avait tellement inquiété Husserl, celui du psychologisme transcendantal – une question “de vie ou de mort pour la phénoménologie”, écrivait-il -, un problème dont l’intelligence est indispensable pour évaluer la distance critique qu’il prenait à l’égard de Descartes, de Kant ou de Heidegger. Elle montre de quelle façon la phénoménologie transcendantale donne un nouveau sens à l’adage antique – gnôthi seautòn – par lequel Husserl concluait ses célèbres Méditations cartésiennes.

Volume III: Albino Lanciani: Phénoménologie et sciences cognitives

Qu’est-ce que le cognitivisme et quel est le sens des dites sciences cognitives ? Quelle est leur fonction sociale alors même que nous semblons vivre dans le déni, voire dans l’oubli de toute transcendance, et que tous les problèmes classiquement humains semblent pouvoir être réduits, par extrapolation de disciplines scientifiques, à des mécanismes structurés par les mathématiques et finalisés par la pensée causale ? De quelle nature sont aussi les mœurs des milieux intellectuels qui semblent accepter sans broncher de telles extrapolations et qui vont même, parfois, jusqu’à compter la phénoménologie parmi les ancêtres d’une “école de pensée” dont l’intention souvent affichée est d’expulser la philosophie pour prendre sa place ?

Qu’il y ait là quelque usurpation ou imposture, tant en ce qui concerne la science qu’en ce qui concerne la philosophie (et la phénoménologie), c’est ce que tente de démontrer rigoureusement ce livre. La distance par rapport à la phénoménologie est infinie, car il n’y a en fait aucun point de contact avec elle.

Remettant en outre le cognitivisme en perspective historique, l’auteur s’interroge sur ce qui a changé aujourd’hui de notre situation intellectuelle et spirituelle depuis la critique husserlienne des sciences européennes dans la Krisis. Certes beaucoup de choses dans l’extension et la finesse des connaissances. Mais aussi uen considérable régression quant à la capacité de questionner le sens de la démarche scientifique. Comblant ce vide, le cognitivisme apparaît bien comme une idéologie censée pouvoir répondre, immédiatement ou à terme plus ou moins long, et à l’instar de toute idéologie, à toutes les questions. Ainsi paraît-il lui-même comme le symptôme encore aggravé de la crise que Husserl s’efforçait, il y aura bientôt soixante-dix ans, d’analyser. C’est dire l’importance extrême de ce qui est en jeu : l’homme et sa dignité, c’est-à-dire sa capacité critique de distinguer le réel du virtuel, d’empêcher l’idéologie de se refermer sur nous en boucle en nous façonnant aveuglément.

Volume II: Moritz Geiger: Sur la phénoménologie de la jouissance esthétique

N’étant pas une doctrine, et n’ayant par conséquent pas à borner d’emblée ses champs d’investigation, la phénoménologie est a priori concernée par tous les domaines touchant au monde et à l’homme. Ceux que la tradition a plus ou moins négligés trouvent alors chez elle une place d’élection : la jouissance est de ceux-là. Il faut dire que le mot même de « jouissance » est déjà de nature à effaroucher les philosophes, plus enclins, on le sait, à la mélancolie qu’à la jouissance. L’audace, voire même l’aventure – expérience de la plus précieuse rareté en philosophie ! – de Moritz Geiger qui, dès le premier volume du Jahrbuch – les Annales qu’il fonde avec Husserl, Pfänder, Reinach et Scheler – consacre à cette épineuse question une analyse aussi substantielle que raffinée, n’en est que plus admirable car non seulement le Maître, qui n’y était guère porté – il était resté classique, c’est-à-dire kantien, en esthétique -, n’a jamais réfléchi sur ce thème, mais encore le projet même de saisir l’essence de la jouissance, et à l’intérieur de celle-ci, l’essence de la jouissance esthétique, s’avérait particulièrement ambitieux : le fait que Geiger, une fois foulée cette terra nova et son périple bouclé, nous avertisse que « les véritables problèmes de la jouissance esthétique ne font que commencer » n’est à coup sûr pas une coquetterie d’auteur en mal de synthèse, mais bel et bien une mise en garde autant qu’un appel à contribution.

Dégager de la confusion ordinaire qui assimile jouissance, plaisir et satisfaction, mettre en évidence les moments qui, du côté du vécu, constituent la jouissance, plonger dans l’archaïque d’un vécu, cela ne va pas sans de subtiles distinctions concernant la motivation de la jouissance, les places respectives qu’occupent l’objet et le moi par rapport à elle, son intensité (Geiger dit : sa profondeur), sa relation à son surgeon proprement esthétique : la jouissance prise aux œuvres d’art. Toutes articulations d’un raffinement parfois étourdissant dans l’analyse, mais que la préface de Marc Richir restitue dans la cohérence propre à la démarche de Geiger. Dans celle-ci, mais aussi au regard de deux autre domaines – deux autres continents là encore ! – que sont la temporalisation de la jouissance esthétique et le rapport qu’entretient la jouissance esthétique avec le sublime, tant kantien que phénoménologique.

Volume I: Marc Richir: L’institution de l’idéalité

“La ‘fiction’ est l’élément vital de la phénoménologie comme de toute science eidétique”, “la fiction est la source d’où la connaissance des ‘vérités éternelles’ tire sa nourriture.” Telle est la formule lapidaire par laquelle, au § 70 des Idées, Husserl caractérise la phénoménologie comme “science eidétique”. C’est un paradoxe que la fiction soit à la source de la connaissance des idéalités, et il a sans doute, jusqu’ici, été trop peu remarqué.

Dans le sillage de sa Phénoménologie en esquisses, d’où il ressort que, institué sur le registre de la phantasía, le registre de la fiction est plus large que le registre de l’idéalité, car non a priori discipliné par lui, l’auteur s’est trouvé confronté au problème de savoir comment le registre de l’idéalité s’institue à son tour pour lui-même, sans présupposer qu’il soit toujours déjà donné d’avance. Il s’agissait, autrement dit, d’explorer les motifs phénoménologiques de son institution symbolique en sa structure intrinsèque et spécifique, avec ses nécessités aprioriques.

Le traitement proposé de ce problème en passe par la reprise en compte – non husserlienne – des schématismes phénoménologiques de phénoménalisation, et par la refonte en profondeur qu’elle implique de la phénoménologie de Husserl, non dans ses analyses concrètes, mais dans son architectonique. Que Husserl ait pu dire ce qu’il a dit, cela tient à une étrange affinité de structure entre l’institution de l’imagination et celle de l’idéalité : si la première s’établit sur la base de la phantasía non schématique, et la seconde sur celle des schématismes, cela signifie que la seconde entraîne avec elle une part de la première. La tradition l’avait déjà compris à sa manière en soutenant qu’il n’y a pas d’intuition de l’idéalité sans schème. La révolution envisagée dans cet ouvrage consiste à tenter de penser l’idéalité depuis le schème et non l’inverse, et à découvrir ses propres prémisses dans un certain nombre de difficultés rencontrées déjà par Husserl lui-même. Mais elle implique aussi de repenser à nouveaux frais l’énigme des schématismes en phénoménologie.